LA SAGA MARVEL Chapitre 2 : 1961

1961 marque la début des Quatre Fantastiques, premiers héros marvéliens modernes, dans leur propre série. FF # 1, paru en novembre 1961 constitue les prémices de la révolution Marvel qui allait connaître son plein essor en 1962.

Si FANTASTIC FOUR 1 contient beaucoup d'innovations, l'épisode se rattache encore par de nombreux aspects à la tradition Marvel de l'époque. La plupart des parutions Marvel de 1961 s'inscrivaient en effet dans la lignée des quelques années précédentes, à savoir des récits de science-fiction et des histoires de monstres. Les tout premiers "comics" de super-héros publiés dans les années 1960, constituent en fait plus une transition par rapport à ce genre qu'ils ne s'en démarquent réellement. Prenons l'exemple du premier épisode de la série "Doctor Droom" de Stan Lee et Jack Kirby. Publié en 1961 dans le premier volume de AMAZING ADVENTURES, il illustre parfaitement la nouvelle tendance, davantage centrée sur les super-héros. Dans cette première aventure, on nous présente Droom. Physicien, il se rend dans l'Himalaya après avoir reçu un appel au secours. Il y trouve un mystérieux Grand Lama, apparemment sur le point de mourir, qui choisit Droom pour lui succéder dans sa croisade contre des forces mystiques maléfiques. Grâce à la magie, le Lama fait don à Droom de la sagesse mystique extrême-orientale tout en réveillant chez lui les connaissances enfouies de ses ancêtres, les Druides de l'ancienne Angleterre. Rétrospectivement, il apparaît clairement que les origines de Droom n'étaient qu'une répétition générale préparant l'arrivée à peine deux ans plus tard du super-héros Docteur Strange, créé cette fois par Stan Lee et Steve Ditko.

Bien que sorcier, Doctor Droom ne se rendra jamais dans d'autres dimensions ni n'affrontera de magiciens mal intentionnés comme ce sera le cas plus tard pour Docteur Strange. Au contraire, Droom, dans la lignée des personnages de science-fiction habituels de Marvel, a plutôt affaire à des monstres bizarres et à des extraterrestres qui essaient d'envahir notre planète. La différence fondamentale tient au fait que jusqu'alors, la plupart des héros étaient des gens normaux en "costume de tous les jours" qui n'apparaissaient que le temps d'une seule aventure. Droom, quant à lui est un personnage récurrent, vêtu d'un costume distinctif et disposant de pouvoirs surhumains.

Malgré cela, Lee et Kirby n'exploitèrent pas les possibilités d'un homme possédant la maîtrise de deux traditions de la sorcellerie. De fait, Droorn avait une tactique de prédilection qui consistait à hypnotiser ses adversaires de façon à leur faire accepter leur défaite. Chauve et semblant tout droit sorti du Moyen Age, Droom ne correspondait pas du tout au standard du super-héros classique. Il semble que Lee et Kirby aient davantage vu en lui un personnage à la Mandrake, lui aussi hypnotiseur, ou dans la tradition des magiciens des tout premiers comics, tels le Zatara de DC comics. Et surtout le personnage de Droom était en quelque sorte unidimensionnel : il incarnait le héros vaillant et sans faiblesse. La révolution Marvel n'avait pas encore eu lieu.

Dans les années 1970, Marvel republia les aventures de Droom dans WEIRD WONDER TALES en prenant soin de transformer son nom en Doctor Druid, ce qui sonnait mieux et qui surtout évitait toute confusion avec l'un des personnages les plus connus de Marvel, Doctor Doom (Dr Fatalis). Druid apparut également dans quelques épisodes de THE INCREDIBLE HULK et dans un épisode des VENGEURS dans les années 1980. Mais son avenir restait des plus incertains. Ensorcellé par Ravonna the Terminatrix, il trahit les Vengeurs. Puis, Roy Thomas le rajeunit et le réhabilite avant que Mark Gruenwald n'en fasse un allié de Captain America. On le place même à la tête de deux éphémères équipes de super-héros, ShockTroop puis les Secret Defenders dans QUASAR.

Après la disparition de cette dernière équipe, Warren Ellis le met en scène dans la série limitée DRUID, où il en fait un personnage sinistre qui n'a plus rien de commun avec le Droom des années 1960. A la fin de la mini-série, Druid meurt et il ne semble pas qu'il doive être ressuscité de si tôt.

Revenons au premier épisode des FANTASTIC FOUR, dont la couverture est souvent citée en exemple. Pourtant, elle ne se démarque pas radicalement des couvertures Marvel de l'époque, On y voit de petites silhouettes humaines affrontant un monstre gigantesque à la Kirby et elle s'inscrit tout à fait dans la tradition de Fin Fang Foom ou Googam. En fait, lors de leur première aventure, les FF se rendent sur l'Ile aux Monstres, peuplée d'étranges créatures sorties de cavernes souterraines. Très classique, donc. Puisque les monstres de Marvel qui ne venaient pas de l'espace ou du fond des océans, n'avaient d'autre choix que de vivre dans les entrailles de la terre !

 La seule originalité notable de cet épisode est de ne pas donner la vedette aux monstres. Jusqu'alors, les aventures en bandes dessinées étaient baptisées d'après le nom des monstres qui les peuplaient alors que leurs adversaires humains étaient des anonymes. Comme c'est également le cas de la série Doctor Droom, les Quatre Fantastiques mettent au contraire en lumière les héros humains. Et si les membres de l'équipe peuvent être considérés comme les archétypes des personnages de science-fiction des années 1950: le génie scientifique grisonnant et fumeur de pipe (Red Richards), le copain tout en muscles (Ben Grimm), l'adolescent impétueux (Johnny Storm) et la ravissante ingénue (Jane Storm, qui n'a pas encore épousé Red)... les origines de l'équipe sont tout à fait dans l'air du temps en ce début des années 1960. Au cours d'un vol non officiel a bord d'un vaisseau spatial conçu par Red Richards pour battre les Russes dans la conquête de l'espace, ils sont accidentellement exposés à des radiations qui vont leur donner leurs pouvoirs extraordinaires. Une mésaventure qui illustre très bien l'angoisse que généraient les débuts de l'ère atomique. Les voici donc qui mutent chacun à leur façon. Red devient capable d'étirer son corps à volonté, tandis que Jane peut devenir invisible. Quant à Johnny, il peut se transformer en flammes, d'où son nouveau surnom de Torche (en référence à un héros de l'Age d'Or de Marvel, Human Torch ). Ben, enfin, devient la Chose, créature à l'apparence inhumaine dont l'aspect s'est au fil du temps transformé pour aboutir à cette texture rocheuse qu'on lui connaît désormais.

Ce qui, en revanche, a dû surprendre plus d'un lecteur de l'époque c'est que la première aventure des Fantastiques s'ouvre sur une dispute. Désormais, cela n'étonnerait plus personne mais avant les années 1960,  les Super-héros étaient des modèles de perfection qui n'avaient jamais un mot dur pour qui que ce fût, en dehors des super-vilains. Or, on assiste ici à une scène où Jane - l'ingénue - traite Ben de lâche. C'est la première fois que Marvel donne à ses personnages une épaisseur psychologique véritable. Et cela gagne même les super-vilains en la personne du premier adversaire des FF, l'Homme Taupe. On nous le présente comme un pathétique marginal presque aveugle que la société rejette. Et c'est étonnamment émouvant. Mais la plus grande innovation reste certainement la Chose. Alors qu'ils ont par le passé écrit tant d'histoires relatant les méfaits de monstres énormes, voilà que Lee et Kirby mettent en scène un humain devenu un monstre. De plus, contrairement à Red, Susan et Johnny, Ben n'a pas la possibilité de retrouver sa forme humaine.

Jusqu'alors, les super-héros étaient tous des personnages attirants et fiers de leurs pouvoirs. Pour Ben Grimm en revanche, la transformation est synonyme de malédiction. Sa force colossale n'a d'égale qu'une laideur difficile à assumer et voilà Grimm contraint de se dissimuler aux regards grâce à un manteau, un chapeau et une écharpe. Se croyant désormais exclu de la race humaine, Ben devient amer et morose et il faudra attendre plusieurs épisodes avant qu'il ne développe ce si caractéristique sens de l'humour qui l'aide à supporter ses périodes de profonde dépression. Son désespoir s'exprime par la rage et, dans les premiers temps, il est souvent sujet à des explosions de violence comme si sa monstrueuse apparence n'était que la manifestation physique du côté sombre de sa personnalité, révélée par les radiations. Une idée que Lee et Kirby n'allaient pas tarder à exploiter avec l'incroyable Hulk...

Ben est un personnage des plus étonnants. Non seulement c'est un super-héros à l'apparence monstrueuse mais il est en outre le premier héros tragique dans l'histoire des comics. Avec les Fantastiques, et Ben en particulier, Marvel change de cap...

Peter Sanderson

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