LA SAGA MARVEL Chapitre 3 : 1963
La
grande ère du comics a officiellement commencé en novembre 1961 avec la parution de
FANTASTIC FOUR 1. Cet épisode, signé Stan Lee et Jack Kirby,
revisitait le concept de super-héros pour s'adapter à une nouvelle
génération de lecteurs. Dans les années qui suivirent, la
Révolution Marvel explora de nombreuses directions alors que le nombre de
ses super-héros "nouvelle vague" se multipliait.
Dans le premier épisode, pour le public (à ne pas confondre avec les lecteurs), les Fantastiques sont encore des inconnus alors qu'ils affrontent leur premier ennemi, l'Homme-Taupe. Dès le deuxième numéro
cependant
(daté de janvier 1962), nos héros sont déjà des
célébrités dont la réputation va brusquement
être ternie par des Skrulls, première race d'extraterrestres
à apparaître dans les pages de Marvel. (A noter que nous suivons
dans cette chronique la chronologie des magazines en fonction de leur date dite
de "couverture". En fait, à l'époque, chaque magazine
était mis en vente plusieurs mois avant la date indiquée sur sa
couverture. Ainsi, un magazine daté de janvier 1962 est en fait
arrivé dans les kiosques pendant
l'automne 1961... )
Revenons à nos Skrulls. Ils étaient quatre et
utilisèrent leur capacité morphique pour emprunter les traits des
Fantastiques et commettre des crimes en faisant croire qu'il s'agissait des FF. Résultat, les Fantastiques devinrent des hors-la-loi pourchassés par les militaires jusqu'à ce qu'ils battent les envahisseurs Skrulls et rachètent ainsi leur réputation. Avec cette aventure, Lee et Kirby établissaient un des thèmes classiques de
Marvel. Dans le passé, les super-héros étaient idolâtrés par le public et épaulés par le gouvernement. Mais dans FF 2, la vénération se transforme très vite en peur et en haine et le gouvernement fédéral met tout en oeuvre pour arrêter des héros qui sauvaient le monde seulement un épisode plus tôt. Et si les Fantastiques
retrouvèrent les bonnes grâces du public dès la fin de ce
deuxième numéro, de nombreux super-héros seraient bientôt
souvent l'objet de l'opprobre de cette société qu'ils se donnent
tant de mal à défendre !
Un autre héros classique de Marvel fit ses
débuts le même mois que les FF. Dans TALES TO ASTONISH 1, le Dr
Henry Pym met au point un sérum qui réduit temporairement sa
taille à celle d'un insecte. évidemment, les lecteurs de l'époque
ne se doutaient pas que moins d'un an plus tard, ils
retrouveraient le Dr Pym sous une apparence bien différente.
Stimulés par les bonnes ventes de
FANTASTIC FOUR, Lee et Kirby ne tardèrent pas à lancer un
nouveau super-héros, d'un genre très différent, dès mai 1962.
THE INCREDIBLE HULK avait sa série. Il y avait déjà eu un
personnage appelé Hulk dans d'anciens magazines de Marvel, un
extraterrestre, qui a d'ailleurs continué à menacer les héros
marvelliens au fil des ans sous le nouveau nom de Xemnu le Titan.
Hulk a permis de développer le concept ébauché avec la Chose.
Comme la Chose des débuts, Hulk n'est qu'un monstre grotesque à
la force colossale et au caractère détestable. Mais,
contrairement au membre des Fantastiques, Hulk représente une
menace et déteste la race humaine.
Une haine qui en fait en quelque sorte l'héritier spirituel d'un
des tout premiers héros de Marvel, qui revint sur le devant de la
scène des comics le même mois que Hulk: Namor, le Prince des
Mers. Créé en 1939, il revient dans FANTASTIC FOUR 4 sous
l'aspect d'un clochard barbu et amnésique que la Torche trouve
dans un asile de nuit. Il reconnaît en lui le héros d'anciens
comics et réussit à lui faire retrouver la mémoire. Mais en
apprenant que les tests atomiques effectués par les habitants de
la surface ont provoqué la destruction de son royaume sous marin,
Namor reprend sa guerre contre les humains. Hulk s'inscrivait dans
la tradition du personnage de Namor. Tout deux étaient des anti-héros,
mais alors que Namor était racheté par ses principes moraux,
Hulk, lui, gagna la sympathie du public en affrontant des
adversaires redoutables comme les extra-terrestres Hommes-Crapauds
dans le deuxième épisode,ou encore l'armée américaine, commandée
par son implacable ennemi, le général Thaddeus "Thunderbolt"
Ross. Qui plus est, Hulk avait un côté humain, au sens littéral
du terme. Il était en effet Bruce Banner, timide scientifique
amoureux de la fille du général Ross, Betty, qu'il épouserait
des années plus tard. La Betty du HULK 1 personnifiait
parfaitement l'ingénue des années 60, soumise à son père et
qu'il fallait constamment sauver d'un danger ou un autre. Une
version très différente, donc, de la Betty indépendante et
pleine de ressources d'aujourd'hui. Plus que la Chose, Hulk était
un personnage tragique. Risquant sa vie pour sauver celle du jeune
Rick Jones, le docteur Banner fut irradié par des rayons gamma. Dès
lors, pendant des années, Banner se transforma régulièrement en
Hulk, ce qui faisait de lui une version moderne de Dr Jekill et Mr
Hyde.
Lee s'était également inspiré du monstre
de Frankenstein pour son personnage. En effet, si le Hulk des débuts
laissait exploser sa rage contre l'humanité, il n'en connaissait
pas moins les affres de l'angoisse et de la peur d'être à jamais
un monstre persécuté et condamné à la solitude.
Deux mois plus tard, dans FANTASTIC FOUR 5 (qui était à l'époque
bimestriel), Lee et Kirby firent entrer en scène un nouveau
personnage qui participe de la légende de Marvel au même titre
que les super-héros : le super-vilain Docteur Fatalis. Lors de sa
première prestation, Fatalis semble plus intéressé par la
possibilité de manipuler les FF qu'il ne les considère comme des
ennemis.
Et il est plus passionné de magie que de
science et utilise sa machine temporelle pour transporter les FF
dans le passé afin qu'ils lui rapportent des gemmes magiques. Mais dès l'épisode
suivant, il ressemble déjà beaucoup au Fatalis actuel et expédie
le quartier général des FF et ses occupants dans l'espace pour les
anéantir en même temps que celui qu'il suppose être leur nouvel
allié, Namor.
Pendant le mois qui sépare les deux premières apparitions de
Fatalis, Stan Lee nous présente une nouveau héros, le jeune et
fragile Dr Donald Blake, qui trouve une antique canne de bois dans
une grotte norvégienne. En la heurtant contre une des parois de la
grotte, Blake est transformé en Thor, le dieu nordique du tonnerre.
Dans ce récit, paru dans JOURNEY INTO
MYSTERY 83 d'août, et évidemment dessiné par Jack Kirby, le
concept de Thor diffère considérablement de ce qu'il deviendra par
la suite. Blake est alors présenté comme un humain normal qui a
été magiquement doté de pouvoirs divins. Il faudra attendre
plusieurs années pour que Lee et Kirby révèlent que Blake
n'était pas un homme devenu Thor, mais qu'Odin avait enfermé Thor
dans un corps humain et lui avait fait trouver le marteau qui allait
lui rendre sa forme divine et sa mémoire.
Devant le succès de cette nouvelle vague de héros, Lee et Kirby
ramenèrent Henry Pym dans TALES TO ASTONISH 35 et en firent le
justicier costumé l'Homme-Fourmi. C'était le début d'une longue
carrière pour Pym qui allait le voir endosser divers déguisements.
Actuellement, il utilise sa capacité à changer de taille pour
servir au sein des Vengeurs sous les traits de Giant-Man.
Bien sûr, Hulk, Fatalis et Thor font partie des personnages les plus connus de Marvel, mais 1962 marque surtout la création d'un personnage qui est depuis devenu le symbole de la maison d'édition américaine à travers le monde entier. Stan Lee avait décidé de tester une histoire dans le numéro d'août d'un des comics de science-fiction de Marvel. En fait, ce numéro, AMAZING FANTAZY 15, se révéla être le dernier de la série pendant plus de trente ans mais il n'en est pas moins le magazine mythique où Stan Lee nous raconte les origines de Spider-Man, illustrées par le grand Steve Ditko.
Spider-Man était le premier héros de la nouvelle vague Marvel à correspondre parfaitement aux critères du genre. Contrairement à Hulk et à Thor, il n'était ni un monstre ni un dieu mais un être humain normal qui avait été doté de pouvoirs surhumains. Qui plus est, son identité civile était secrète, ce qui n'était pas le cas des Fantastiques. Et, alors que ces derniers se vouaient à l'exploration de l'inconnu, SpiderMan combattait les criminels dans les rues de New York.
Cependant, par d'autres aspects, Spider-Man
se démarque considérablement du genre super-héroïque tel qu'on
le connaissait à l'époque. En effet, dans le civil, l'adolescent
Peter Parker n'a rien du joyeux jeune équipier qui avait fait les
beaux jours des comics pendant des décennies. Lee et Ditko se
sont au contraire attachés à décrire les angoisses d'un Parker
adolescent, sans jamais tomber dans la condescendance. Ils
montrent un Peter Parker très réaliste. Un premier de la classe
qui, après avoir découvert ses nouveaux pouvoirs, se monte la
tête avec des rêves de gloire et de fortune. Qui plus est, alors
que la plupart des super-héros, y compris les FF, ont
automatiquement décidé de mettre leurs pouvoirs au service de la
lutte contre le mal, ce n'est pas le cas de Spider-Man. Au
contraire, Lee et Ditko lui donnent d'autres motivations.
Spider-Man refuse de poursuivre un voleur parce qu'il estime que
ça ne le regarde pas et, peu après, le même homme tue l'oncle
de Peter, Ben Parker. C'est à partir de ce moment-là que
Spider-Man décide de combattre le crime, mais il est mû par un
sentiment personnel de culpabilité. Il a compris, comme le lui
fait dire Stan Lee que "le pouvoir donne des
responsabilités". Avec la création de Spider-Man, la
révolution Marvel tranchait décisivement avec le passé et
définissait la nouvelle ligne de super-héros. A compter de ce
moment-là, la révolution allait prendre de la vitesse et ouvrir
sur des années d'exceptionnelle créativité. Ce que nous verrons
dans un prochain article.
Peter Sanderson
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