1971 : drôle d'année pour Marvel Comics. La première grande période de son histoire, l'Age d'Argent, s'achève et la qualité de beaucoup de séries s'en ressent. La nouvelle vague d'artistes très influencés par les années 60 commence juste à pointer le bout de son rouleau. Cependant, certaines séries font encore des merveilles...

C'est en 1971 notamment que Marvel donne ses lettres de noblesse à l'heroic fantasy. Pour la première fois, en effet, CONAN THE BARBARIAN paraît de façon régulière tout au long de l'année. Une occasion pour le scénariste Roy Thomas et le dessinateur Barry Windsor-Smith d'adapter un chapitre troublant mais passionnant des romans de Robert E. Howard (le créateur de Conan), "The Tower of the Elephant", un classique paru dans le quatrième épisode de la série. Le Succès de CONAN fait des émules: KULL THE CONQUEROR qui s'inspire aussi du travail d'Howard, et SAVAGE TALES un magazine qui ne subit pas la censure du Comics Code. Un seul numéro de SAVAGE TALES paraît en 1971 et il faudra attendre deux ans avant de voir le suivant. Mais ce premier numéro est exceptionnel. Non seulement on y retrouve le CONAN de Thomas et Windsor-Smith et Ka-Zar, le seigneur de la jungle, mais on y fait aussi la connaissance de Man-Thing, un homme devenu un monstre dénué de toute intelligence, un personnage créé par le dessinateur Gray Morrow et un scénariste nouvellement recruté par Marvel, Gerry Conway. Stan Lee et John Romita Sr sont toujours aux commandes de THE AMAZING SPIDER-MAN. En 1971, la série reste d'un bon niveau mais n'évolue pas beaucoup du point de vue de l'intrigue. Mais l'univers Marvel est imprévisible et ce qui n'est qu'un détail à une époque peut prendre une importance considérable en d'autres temps, d'autres circonstances. Ainsi, dans AMAZING SPIDERMAN 93 à 95, Peter accompagne sa fiancée Gwen à Londres où elle rend visite à son oncle Arthur et sa tante Nancy juste après la mort de son père. On ne reverra Arthur Stacy qu'en 1996, date à laquelle il réapparaît soudain pour mener sa propre enquête sur la mort de son frère George.

Pour Spider-Man, le grand événement de 1971 est sans doute le retour du Bouffon Vert (épisodes 96 à 98) orchestré par Stan Lee et Gil Kane. Mais l'intrigue secondaire est l'élément le plus intéressant de cette saga. En effet on a demandé à Stan de parier, "discrètement", des dangers de la drogue. A l'époque, le Comité du Comics Code auquel a souscrit Marvel, interdit toute mention concernant ce problème. Lee et Marvel décident de passer outre. Lee développe alors une intrigue autour du fils du Bouffon, Harry Osborn:pour noyer son chagrin après sa rupture avec Mary Jane Watson - elle ne sortait pas encore avec Peter -, Harry commence à prendre certaines drogues et devient petit à petit dépendant. Devant la déchéance de son fils, le Bouffon aura une violente réaction et la personnalité de Norman Osborn finira par reprendre le dessus. Les épisodes 96 à 98 sont publiés sans l'approbation du Comics Code mais, et c'est tout à son honneur, le Comité décide peu après cet incident d'autoriser les artistes à parler de la drogue dans les comics du moment qu'elle est présentée comme un danger.

Les lecteurs s'attendent à un événement de taille pour le centième numéro de la série AMAZING SPIDERMAN mais sûrement pas à ce que leur réserve Marvel...

Déçu une nouvelle fois dans sa carrière de super-héros, Peter Parker met au point un sérum susceptible de faire disparaître ses pouvoirs. Malheureusement, la "potion magique" a un effet inverse et accentue encore son caractère arachnéen: Peter se retrouve avec quatre bras supplémentaires et donc huit membres comme une véritable araignée !

Stan transmet alors le "bébé" à Roy Thomas et Gil Kane: à eux de se débrouiller pour sortir le pauvre Spidey de cette délicate situation ! Roy y parvient et, ce faisant, entraîne la série dans une direction inattendue. Il y a longtemps que le Comics Code interdit les scènes d'horreur dans le comic, mais il revient curieusement sur cette décision. Marvel en profite pour lancer toute une ligne de séries d'horreur, à commencer par la remarquable TOMB OF DRACULA. Thomas, lui, se contente (pour l'instant) de rendre la température et introduit le personnage de Michaël Morbius dans l'épisode 101 d'AMAZING. Morbius souffre d'une maladie du sang. Il décide de tenter une expérience mais au lieu de guérir, il se transformera en vampire. Ce n'est pas une créature surnaturelle, comme Dracula par exemple, mais grâce à la science, il en acquiert les caractéristiques et notamment une insatiable soif de sang.

Spidey, quant à lui, veut se débarrasser de ses bras gênants et se tourne tout naturellement vers son vieil ami Curt Connors, celui-là même qui, lors d'une de ses expériences, s'est métamorphosé en Lézard (moralité : un chercheur ne devrait jamais se prendre pour cobaye !). Avec sa veine habituelle, Spidey se retrouve bientôt confronté à Morbius et au Lézard. Mais, Connors finit par le débarrasser de ses bras grâce à un antidote élaboré à partir du sang de Morbius. Heureusement, cette mésaventure n'a pas duré très longtemps. Une chance: Peter n'a pas eu à expliquer à tante May pourquoi il avait besoin de chemise à six bras!

Plus tard, Thomas et Kane embarquent Spidey dans une bien étrange aventure. J.J. Jameson souhaite rendre hommage à King Kong, Pour ce faire, il organise une petite expédition en Terre Sauvage, avec Peter comme photographe et Gwen Stacy en belle héroïne légèrement vêtue. Sous son costume de Spider-Man, Peter rencontre bientôt Ka-Zar et son vieil ennemi Kraven le Chasseur. Ce dernier a recueilli et élevé un monstre gigantesque, Gog, qui ne tarde pas à menacer la vie de la malheureuse Gwen. Suite de cette histoire dans notre prochain chapitre...

Pour la série FANTASTIC FOUR qui a connu des heures de gloire, cette année 1971 est bien décevante. Stan Lee, John Buscema et John Romita Sr reprennent une aventure inachevée des FF dessinée par Jack Kirby et y apportent de nouveaux éléments, notamment le personnage de Néga-Man (# 107 à 109). Mais on sent bien que la série n'a pas le vent en poupe: dans les épisodes 107 à 109, la Chose perd la raison et se retourne contre ses coéquipiers - pour la troisième fois ! Il est temps d'opérer un changement. Après l'épisode 114, Stan Lee cède la place à Archie Goodwin au scénario.

Lee et Buscema ne sont pas beaucoup plus inspirés sur THOR. Le dieu du Tonnerre passe le plus clair de l'année à combattre une mystérieuse et apparemment toute-puissante entité, Infinité. Rien à voir avec la bienveillante divinité cosmique qui apparaîtra longtemps après dans QUASAR. Cette Inifinité-là incarne le côté maléfique de la personnalité d'Odin. En d'autres termes, Infinité est à Odin ce qu'Onslaught sera au Professeur Xavier vingt ans plus tard! Buscema restera sur la série tout au long de l'année 1971. Quant à Lee, il sera remplacé après l'épisode 192 par Gerry Conway, un scénariste qui prend de plus en plus d'importance au sein de l'univers Marvel.

Trois des meilleurs artistes de la maison tiennent les rênes de CAPTAIN AMERICA - Stan Lee, Gene Colan et John Romita Sr. Cela n'empêche pas le héros à la bannière étoilée de passer une année plutôt médiocre. Le changement de titre est le seul événement digne d'intérêt: la série prend le nom de CAPTAIN AMERICA AND THE FALCON à partir de l'épisode 134. Un tournant dans l'histoire des comics. Pour la première fois, en effet et pendant très longtemps, un héros blanc sera associé à un héros noir-américain.

DAREDEVIL touche le fond à la fin de l'année 1970. Mais dès janvier 1971, les choses commencent à s'améliorer. Gerry Conway, la dernière recrue de Marvel, reprend le scénario. Après un temps d'adaptation, Conway trouve enfin ses marques et introduit bientôt un personnage capital: la Veuve Noire.

Début 71, la Veuve est la vedette de sa propre série qui paraît dans le "split book" AMAZING ADVENTURES. Conway en a écrit deux épisodes. Mais THE BLACK WIDOW souffre de sa cohabitation avec la série THE INHUMANS sur laquelle Neal Adams fait de véritables merveilles. Finalement, les Inhumains s'approprieront le titre après le numéro 8, sans Adams cependant. Quant à la Veuve, elle se fera une place aux côtés du Diable Rouge à partir de l'épisode 81 de DAREDEVIL. Elle deviendra vite la maîtresse de l'Homme sans Peur, sa partenaire et partagera la vedette avec lui.

A noter aussi : un des meilleurs duos dessinateur/encreur prend en main la série à partir du numéro 76. Tom Palmer rejoint, en effet, Gene Colan qui travaille sur DAREDEVIL depuis déjà pas mal de temps.

C'est la fin des "split books", semble-t-il. Les lecteurs s'intéressent de moins en moins à ce genre de magazines. Ou peut-être les personnages ne sont-ils pas assez attractifs ? Barry Windsor-Smith, au style raffiné et d'un autre monde, dessine en 1971 trois nouveaux épisodes de KA-ZAR qui paraît alors dans ASTONISHING TALES. Mais le grand Wally Wood quitte la série DOCTOR DOOM (qui partage la revue avec KA-ZAR) juste après le premier numéro de l'année. Résultat: ce qui aurait dû être un événement de taille - la première rencontre entre deux des plus redoutables super-vilains, Fatalis et Crâne Rouge - est quelque peu bâclé. DOOM tire sa révérence après le 8ème numéro d'ASTONISHING TALES, laissant Ka-Zar seul et unique protagoniste de la revue. IRON MAN n'a pas une année plus réjouissante. En fait, la série passe même bimestrielle avant la fin 71.Quelques rares événements à signaler néanmoins : l'arrivée de Marianne Rodgers, l'amie télépathe de Tony (# 36), la première apparition de Kevin O'Brien sous l'armure de Guardsman (# 43), et les débuts d'un des plus vieux ennemis d'Iron Man, Spymaster (# 33). J'allais oublier: le désormais indispensable Gerry Conway devient le scénariste de la série.

Roy Thomas met fin avec brio à ses trois années de travail sur SUB-MARINER. Pour commencer, Namor demande enfin sa chère Lady Dorma en mariage (# 33). Dans ce même épisode, c'est typique de l'auteur, Namora, la cousine du Prince des Mers apparue à l'époque de l'Age d'Or, s'impose comme une des grandes figures de l'épopée Marvel des temps modernes.

Plus tard, Roy et le dessinateur Sal Buscema créent une équipe inédite et quelque peu surprenante : les Titans Three. Elle réunit Namor, Hulk et le Silver Surfer! Curieusement, c'est grâce à eux que le Doctor Strange sera réintroduit dans l'univers Marvel.

L'année précédente, en effet, à l'a suite de l'arrêt de sa série, Strange annonce qu"il renonce aux sciences occultes. En 1971, Marvel sort un nouveau titre, MARVEL FEATURE où l'on retrouve Strange dans une aventure en solo mais aussi associé aux Titans face à Omegatron, une machine monstrueuse inventée par un ennemi de Strange mort à l'époque, le savant Yandroth.

Ainsi naît une nouvelle équipe de super-héros, les Defenders. Le Surfer, présent dans cette première aventure, ne fera plus ensuite que des apparitions ponctuelles.

Contrairement à la plupart des autres héros Marvel, Hulk connaît en 1971 une période particulièrement faste. Il le doit surtout au talent de Roy Thomas et Herb Trimpe qui signent la plus grande partie des épisodes cette année-là. Et pour commencer le n° 135 : un voyage dans le temps où l'on retrouve Kang le Conquérant mais aussi un héros de la Première Guerre mondiale made in Marvel, Phantom Eagle apparu peu avant dans MARVEL SUPER-HEROES. Puis, dans les épisodes 135 et 136, Roy nous présente sa version SF de "Moby Dick": Hulk atterrit dans un vaisseau commandé par un certain Captain Cyber dont le seul but est de détruire Klaatu, un gigantesque monstre de l'espace aux allures de baleine. Mais la meilleure aventure de Hulk cette année-là est sans doute celle imaginée par le célèbre écrivain et amateur de comics Harlan Ellison en collaboration avec Roy Thomas. Elle démarre, en fait, dans AVENGERS 88 où Psyklop, une créature du genre insecte, s'empare de Hulk et le fait disparaître, apparemment. Mais dans INCREDIBLE HULK 140, on retrouve le colosse vert dans un univers subatomique appelé K'ai. Là, des magiciens lui jettent un sort qui permet à la personnalité de Bruce Banner de prendre le dessus sur son farouche alter ego. Bien accepté par les habitants de ce petit monde à la peau verte comme lui, Hulk devient bientôt leur champion et va jusqu'à conquérir le coeur de la ravissante princesse Jarella. Hulk aurait-il enfin trouvé le bonheur après toutes ces années de turpitude ? Malheureusement, alors que leur mariage est sur le point d'être célébré, Psyklop frappe de nouveau. Hulk retrouve vite sa taille de géant. Il doit quitter son paradis et la princesse Jarella désespérée, et retourner dans son univers où les charmes des magiciens de K'ai cessent d'opérer. Il redevient le Hulk bestial et primitif de jadis, poursuivi par de redoutables ennemis, mais garde malgré tout dans un coin de sa mémoire le souvenir de ce paradis perdu.

Cette bien belle saga fait de 1971 une année mémorable pour Hulk, mais les auteurs lui réservent encore d'autres bonnes surprises... L'épisode 141 voit un psychiatre au caractère acariâtre et au physique ingrat se métamorphoser, sous l'effet de rayons gamma, en une force de la nature, Doc Samson. Peu après, l'esprit de Brunnhilda la Valkyrie investit le corps de la riche et célèbre Samantha Parrington (# 142). Enfin, dans les épisodes 143 et 144, on assiste à la première confrontation entre Hulk et Fatalis !

Mais la meilleure série de Marvel en 1971 est sans conteste AVENGERS. Cette année-là, Roy Thomas se surpasse.

Il commence par envoyer les Vengeurs sur une Terre parallèle (# 85 et 86) où ils rencontrent pour la première fois l'Escadron Suprême, un groupe de super-héros qui nous rappellent beaucoup d'autres fameux personnages et auxquels sera consacrée une mini-série dans les années 80.

Puis, vient le plat de résistance! Dans l'épisode 89 éclate la guerre Kree-Skrull, la première grande épopée de l'histoire Marvel: un conflit à l'échelle universelle entre les deux principaux empires de la galaxie, créés pas Stan lee et Jack Kirby, où le sort de la Terre est en jeu. Les dessinateurs Sal et John Buscema apportent leur pierre à l'édifice mais c'est surtout l'arrivée de Neal Adams sur la série qui suscitera un engouement très fort de la part des lecteurs. La guerre Kree-Skrull est aux Vengeurs ce que la trilogie de Galactus (de Lee et Kirby) est aux Fantastiques. Et les épisodes de 1971 ne sont qu'un prologue aux fabuleuses aventures qui paraîtront l'année suivante.

Et les X-Men, me direz-vous ? Aucun épisode nouveau à l'horizon de 1971 ! Bien sûr, on les retrouve dans des réimpressions. Hormis cela, ils doivent se contenter comme d'autres personnages écartés de la scène super-héroïque, Nick Fury, Captain Marvel, Silver Surfer de jouer ponctuellement les guest-stars ou comme Docteur Strange d'apparaître dans des séries "de groupe" du style DEFENDERS. Apparemment, à l'époque, on pense que les X-Men n'ont aucun potentiel et qu'il est inutile de leur consacrer des épisodes.

Les X-fans devront attendre jusqu'en 1972 avant de voir un premier rescapé, le Fauve, refaire surface dans le monde des comics.

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