1972: LA NOUVELLE GENERATION
Si l'on en croit les fans des années 60, les années 70 furent une période peu créative pour Marvel. Pourtant, vous êtes nombreux à avoir remarqué que les rédacteurs et auteurs actuels ont tendance à réhabiliter un maximum de héros des années 70, des Micronautes à Howard the Duck.
Le débat n'est donc pas aussi tranché qu'il en a l'air. Certes, Stan Lee, Jack Kirby et d'autres monstres sacrés des
années 1960 avaient porté les séries classiques à de tels sommets que la relève n'était pas facile. Pendant les années 70, de nombreux titres phares des éditions Marvel connurent donc un passage à vide. Certains d'entre eux contenaient des histoires d'un très bon niveau mais qui, faute d'originalité, ne sont pas restées dans les annales.
Néanmoins, la première moitié des années 70 se caractérise par un nouvel élan de créativité, surtout manifeste dans les séries secondaires et ceci pour deux raisons.
La première, c'est qu'à la faveur de son succès, d'un changement dans ses modes de distribution et d'une modification du Comics Code, Marvel peut multiplier ses publications et se lancer dans de nouveaux genres, en particulier l'horreur.
La seconde raison
découle d'un phénomène tout à fait inédit dans l'histoire des comic books. Par le passé, la plupart des scénaristes et des dessinateurs réalisaient des comic books pour gagner leur vie en attendant de percer dans des domaines plus lucratifs ou plus respectables, comme les "comic strips" dans les journaux ou les "pulp novels". Mais les comics de l'Age d'Argent des années 60, et en particulier ceux publiés par Marvel, ont frappé l'imagination d'une nouvelle génération de fans qui s'est alors découvert la vocation de faire carrière dans le comic book. Ansi, Roy Thomas, Archie Goodwin, et Jim Steranko, auteurs de nombreux grands succès des
années 60 et symboles de cette nouvelle vague de créateurs, étaient des anciens
fans de comics des années 40 et 50. En succédant à Stan Lee au poste de rédacteur en chef de Marvel, Roy Thomas engage donc de nombreux jeunes professionnels du comic dont l'imagination a été enflammée par la révolution
Marvel.
Le scénariste Steve Englehart est l'un d'entre eux. Steve succède à Thomas sur THE AVENGERS en 1972 et reprend CAPTAIN AMERICA AND THE FALCON au numéro 153. Pour le premier scénario d'Englehart, Thomas fournit une idée de base qui
reflète ses préférences en tant qu'aficionado du
comic.
Il est intéressant de noter que chez Marvel comme chez DC, l'Age d'Argent commence par une répudiation de la continuité de l'Age d'Or. Dans l'histoire qui introduit Barry Allen, le Flash de l'Age d'Argent, son homologue de l'Age d'or est présenté comme un personnage de fiction, héros des comics que lit Barry. De la même façon, quand Johnny Storm devient la Torche Humaine dans FANTASTIC FOUR 1, il n'est fait aucune référence à la première Human Torch de l'univers Marvel. Peu de temps après cependant, Marvel remet son héritage à l'honneur en
réintroduisant le Prince des Mers dans FF 4. Mais quand Lee et Kirby ramènent Captain America dans AVENGERS 4, ils stipulent qu'il se trouvait en animation suspendue depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, écartant ainsi de la continuité toutes les aventures de CAPTAIN AMERICA publiés au cours de la décennie suivante !
Néanmoins,
avec le temps, DC et Marvel
entreprennent de réintégrer davantage de scénarios de l'Age
d'Or dans la continuité de l'Age d'Argent. Ainsi, Barry Allen finit par rencontrer le Flash de l'Age d'Or tandis que de leur côté, Roy Thomas et Steve Englehart rétablissent la continuité avec les scénarios de CAPTAIN AMERICA des années 50, Englehart et Sal Buscema introduisent une version maléfique de Captain America et de son partenaire Bucky qui, par la suite, s'avèrent être le Cap et le Bucky des années 50. Ayant redécouvert la formule du "super-soldat", ce Cap-là a injecté le sérum dans son organisme et dans celui du nouveau Bucky afin de combattre des espions communistes pour le compte du gouvernement des Etats-Unis. Mais faute d'avoir été exposés aux "vita rayons", les deux hommes deviennent fous et fanatiques, persécutant des innocents qu'ils prennent pour des traîtres communistes. Le gouvernement finit par les placer en animation suspendue, état dont ils sont sortis des décennies plus tard par un haut fonctionnaire aigri.
En opposant un Captain America idéaliste à son homologue chasseur de communistes, Englehart veut faire passer un message politique. Les comics Marvel des années 60 se faisaient en effet l'écho de la guerre froide que se livraient l'U.R.S.S et les Etats-Unis. Mais au début des année 70, le contexte social a changé : arrivée à maturité, la génération du baby-boom se révolte contre le pouvoir en place et réclame l'arrêt de la guerre du Vietnam. Il est donc approprié que Captain America combatte et finisse par vaincre le Cap fanatique des années 50 pour prendre des distances avec les abus et la "chasse aux sorcières" de la guerre froide.
IRON MAN est sur le déclin à la même période. Ai-je besoin de rappeler que 1972 marque le retour du mystérieux Black Lama qui, par la suite, se révélera être un double du président Gerald Ford venu d'une autre dimension ? Là encore, le bouleversement du paysage politique est mis en évidence.
Iron Man affronte un nouvel ennemi, Firebrand, un terroriste costumé qui représente les excès de l'autre extrême, autrement dit de la gauche radicale du début des années 70.
Dans THE INCREDIBLE HULK, le monstre à la peau verte est capturé et jugé dans une histoire qui fait explicitement allusion au procès des Sept de Chicago, un groupe de gauchistes. Tout comme Bobby Seale, l'un des accusés, Hulk est attaché et bâillonné pendant l'audience.
C'est aussi cette année-là, et plus précisément dans l'épisode 158, que Betty Rosse, lasse de sa relation impossible avec Bruce Banner, épouse l'un des pires ennemis de Hulk, le Major Glenn Talbot.
On notera toutefois que les épisodes d'IRON MAN et de HULK publiés en 1972 ne sont pas restés dans les mémoires, trop affectés qu'ils étaient par le malaise qui planait sur de nombreuses séries cette année-là. Même Stan Lee semble avoir perdu de sa verve quand il se replonge dans l'écriture des FANTASTIQUES, ramenant Galactus sur terre pour l'occasion. Le dévoreur de planètes tombe en effet bien bas quand Stan lui fait détruire le Grand Huit de Coney Island dans l'épisode 122!
A la fin de cette année-là, Roy Thomas abandonne THE AVENGERS pour FANTASTIC FOUR, le fleuron de Marvel, et donne de nouveaux coups de canif dans la continuité. Au début des années 60, avant même de comprendre qu'ils étaient en train de créer un cosmos fictionnel homogène, Lee et Kirby avaient imaginé trois civilisations souterraines, dirigées chacune par un tyran. Stan avait déjà opposé deux de ces despotes, l'Homme-Taupe et Tyrannus, dans HULK. Dans les épisodes 128 et 129 des FF, Roy mêle à leur combat Queen Kala of the Netherworld, personnage emprunté à TALES OF SUSPENSE.
Dans l'épisode suivant, il crée une nouvelle héroïne
pour remplacer Médusa au sein des Frightful Four: la nouvelle venue, Thundra, est le premier personnage féminin de l'univers Marvel à possédera la fois une force surhumaine et un physique d'athlète. Avant Thundra, les héroïnes Marvel se contentaient de devenir invisibles ou de jeter des sorts,
mais leurs super-pouvoirs n'étaient jamais très
physiques Pas de doute, les temps changent. Et le féminisme est
passé par là. J'en veux pour preuve le nouveau nom de la série
DAREDEVIL qui devient DAREDEVIL AND THE BLACK WIDOW au numéro 92.
La Veuve Noire et Daredevil sont à la fois amants
et partenaires dans leur combat contre le crime et dans ce dernier
rôle, ils sont sur un pied d'égalité, ce qui n'était pas le
cas, par exemple, du couple formé par Henry Pym (alias l'Homme-Fourmi
et Giant-Man) et la Guêpe, le premier
combattant les criminels avec beaucoup plus de sérieux que la
seconde. L'équipe DD-la Veuve Noire constitue donc un phénomène
nouveau. (Puisque l'on évoque Henry Pym et l'année 1972, j'en
profite pour signaler la reprise de la série ANT-MAN dans IRON
MAN, puis dans MARVEL FEATURE cette année-là, mais la tentative
fut de courte durée). Autre innovation de l'époque : le déménagement
de Daredevil et de la Veuve Noire à San Francisco dans l'épisode
87 écrit par Gerry Conway. DAREDEVIL AND THE BLACK WIDOW
devient alors la première série Marvel à avoir pour toile de
fond une autre ville américaine que New York. C'est une
excellente idée sauf pour Daredevil qui, comme le soulignera plus
tard Frank Miller, a ses racines dans le quartier de Hell's
Kitchen à Manhattan. Au cours des années suivantes, d'autres séries
Marvel, des CHAMPIONS à IRON MAN en passant par AVENGERS WEST
COAST prendront le chemin de la Californie (de même que certains
scénaristes et dessinateurs, dont Stan Lee). Mais toutes ces expériences
auront la vie courte : ou la série s'arrêtera, ou - comme c'est
le cas pour Daredevil - le personnage reviendra sur la côte Est,
Quant aux bureaux de Marvel, ils restent à Manhattan (aujourd'hui
encore, la plupart des scénaristes et des dessinateurs vivent à
New York ou dans les environs). L'interaction entre les
personnages principaux étant un ingrédient essentiel de
l'univers Marvel, l'unité de lieu est une exigence incontournable
pour les meilleures séries. En conséquence, le super-héros
Marvel reste un phénomène exclusivement new-yorkais.
Conway oriente de plus en plus DAREDEVIL
vers la science-fiction, un domaine qui finit par plonger la série
dans une impasse. En 1972, il écrit également les scénarios de
THOR, mis en images par John Buscema. Mais 1972 est une année
sans intérêt pour THOR, malgré l'introduction de trois mortels
qu'Odin fait transformer en êtres surhumains. Ce sont les
premiers "Young Gods" qui, bien des années plus
tard, joueront un rôle important dans le 300ème épisode de la série.
Au cours des années précédentes,
quelques personnages Marvel importants ont eu droit à leur propre
série, mais l'expérience s'est rapidement soldée par un échec.
Décidée à faire une nouvelle tentative, Marvel relancé CAPTAIN
AMERICA au numéro 22. Surprise: les trois premiers épisodes de
la nouvelle série sont mis en images par Wayne Boring, l'artiste
qui dessinait Superman dans les années 40 et 50. Au numéro
23, un nouveau scénariste s'attelle à la série: Marv Wolfman,
un des plus grands auteurs Marvel des années 70.
Le Dr Strange attaque sur deux
fronts à la fois: fin 1971, il a déjà fait une réapparition
dans MARVEL FEATURE 1 en tant que chef des Defenders (les Défenseurs),
une nouvelle équipe sans statut officiel et mal organisée, dont
ont également fait partie Hulk et Namor. Après
trois épisodes dans ce magazine, les Defenders ont droit à leur
propre série, écrite et dessinée par le tandem de CAPTAIN
AMERICA - Steve Englehart et Sal Buscema, qui réintroduisent Barbara
Norriss. Apparue pour la première fois dans les pages de HULK
en tant que membre d'une secte, Barbara prendra une nouvelle
identité l'année suivante.
La plupart des autres séries nouvelles
entrent dans l'une des trois catégories suivantes: regroupe les
tentatives, toutes de courte durée, de séduire le lectorat féminin
avec des histoires réalisées par des femmes et ayant pour
vedettes des super- héroïnes. Parmi celles-ci, on retiendra :
THE CLAWS OF THE CAT dont l'héroïne porte aujourd'hui le nom de Tigra,
par Linda Fite et Marie Severin; SHANNA THE SHE-DEVIL, une série
qui s'inspire du comic Sheena, Queen of the Jungle et met
en scène une femme blanche très légèrement vêtue qui évoluera
vers une version féminine de Tarzan. Par la suite, Shanna épousera
Ka-Zar et partagera ses aventures. (En 1972, Ka-Zar figure
dans ASTONISHING TALES). Dans un tout autre genre, citons enfin
NIGHT NURSE, mais en 1972, le comic "mélo" ne fait déjà
plus recette.
Le succès de CONAN incite Marvel à
acheter les droits de Doc Savage, l'Homme de Bronze, autre
grand héros des "pulp magazines" des années 30. Avec
ses pouvoirs surhumains et ses fantastiques aventures, Doc est
l'ancêtre des superhéros; ainsi, son Q.G. de l'Empire State
Building préfigure le Baxter Building des Fantastiques. Mais Doc
n'est plus qu'une curiosité aujourd'hui et aucun des comic books
qui lui ont été consacrés n'a fait un malheur.
Dès la révision du Comics Code, qui
autorise désormais l'épouvante dans la tradition
"classique", Marvel entreprend de créer toute une
collection de comics d'horreur. Le titre phare, qui est aussi
celui qui durera le plus longtemps, est TOMB OF DRACULA où le héros
de Bram Stoker est mêlé à des aventures made in Marvel. Gerry
Conway et Gene Colan signent le premier épisode dans
lequel Clifton Graves le bien-nommé (grave signifiant
tombe) ramène Dracula à la vie en extirpant le pieu enfoncé
dans la dépouille du vampire. Dracula rencontre alors l'associé
de Grave mais aussi son propre descendant, l'Américain Frank
Drake. Au numéro 3, Archie Goodwin apporte une
contribution capitale à la série en situant l'action à Londres
et en introduisant Rachel von Helsing dont l'ancêtre n'est
autre que le professeur von Helsing, l'ennemi juré de Dracula
dans le roman. Frank et Rachel uniront leurs forces pour traquer
les vampires et la chasse sans merci qu'ils livreront à Dracula
sera le fil conducteur de cette longue série.
Pendant ce temps, Man-Thing (l'Homme-Chose),
introduit dans SAVAGE TALES, s'installe dans la série FEAR. Une
autre série consacrée à l'épouvante, MARVEL SPOTLIGHT, lance
deux nouveaux personnages. Le premier apparaît dans le numéro 2:
il a pour nom Jack Russell, le futur "Werewolf by
Night", et il est inspiré par le film de série B des
années 50 "I Was a Teenage Werewolf". Quand
Werewolf est gratifié de sa propre série plus tard dans l'année,
il est remplacé dans SPOTLIGHT par Johnny Blaze, le
premier Ghost Rider. Pour sauver la vie de son père
adoptif, le motocycliste Blaze a signé un pacte avec le
"diable" (en l'occurrence Mephisto, l'ennemi du Surfer,
comme on le découvrira des années plus tard). En contrepartie,
Blaze a accepter d'être transformé en une créature squelettique
dont le corps semble être en flammes. Créé par le scénariste Gary
Friedrich, Ghost Rider est une variante d'un héros Marvel de
l'Age d'Or, Blazing Skuil. Mike Ploog, grand maître de
l'horreur, signe les dessins des premiers épisodes de WEREWOLF BY
NIGHT et de GHOST RIDER.
"Et les X-Men dans tout ca ?" me direz-vous. Eh bien, dans AMAZING ADVENTURES 11, Henry McCoy - alias le Fauve - quitte l'école du Pr Xavier pour faire de la recherche chez Brand Corporation où il a l'idée plutôt saugrenue de tester sur lui-même une solution mutagénique de son invention. Son corps (jusque-là normal si l'on excepte la taille de ses mains et de ses pieds) se couvre alors d'une fourrure grise et Hank se transforme en une créature bestiale pourvue de griffes et d'oreilles pointues. Fin 1972, sa fourrure devient bleue et le Fauve prend l'aspect que nous lui connaissons aujourd'hui. Dessinée par Tom Sutton et écrite par Gerry Conway puis Steve Englehart, la série BEAST - publiée dans AMAZING ADVENTURES - ne fait pas long feu. Mais quelques années plus tard, le Fauve "nouvelle version" gagnera son admission au sein des Vengeurs.
Malgré l'arrêt de la série consacrée
aux X-Men, la transformation du Fauve est un premier pas vers la réhabilitation
des étudiants de Xavier auprès d'une nouvelle génération de
lecteurs. En l'espace de deux ans, ce phénomène va aboutira la
création des "nouveaux" X-MEN, une série qui est
toujours le plus gros succès de Marvel aujourd'hui.
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