Dès sa
première apparition, d'ailleurs, les lecteurs durent sentir que le Punisher était destiné à avoir son propre magazine. Mais qu'ont bien pu penser les marvélophiles en voyant débarquer, à la dernière page de INCREDIBLE HULK 180, un personnage vaguement nabot, pour ne pas dire un avorton... Bref, l'antithèse du beau super-héros solidement bâti dont les fans avaient l'habitude ? Un costume jaune vif à rayures, de petites cornes noires et, à ses débuts tout au moins, un visage plutôt ingrat. Quant à son super-pouvoir, il se résumait à ses griffes ! Les lecteurs durent se dire que celui-là ne ferait pas long feu. Et pourtant, ce petit Canadien irascible, alias l'Arme X alias Wolverine, allait se classer en moins d'un an parmi les grands favoris de l'écurie Marvel.
Roy Thomas, à
l'époque rédacteur en chef de Marvel, songeait déjà à
organiser la renaissance d'un des premiers super-groupes auxquels
il avait prêté ses talents de scénariste : les X-Men. Il
s'était mis en tête de créer une équipe entièrement nouvelle,
composée de mutants venus de tous les continents du monde. Il
suggéra donc au scénariste Len Wein d'imaginer un mutant
canadien et de l'appeler Wolverine, comme le petit mammifère du
Nord de l'Amérique réputé pour sa ruse et son agressivité - en
français, le glouton. Toujours en s'inspirant de la silhouette de
l'animal, Wein mit au point le look du petit homme batailleur.
Jamais, depuis l'âge d'Or de DC, on avait vu un super-héros
aussi minuscule !
Le coup de crayon magistral de Wein équipa
Wolverine de griffes d'adamantium, ce métal à toute épreuve
inventé par Thomas pour la série AVENGERS. Un héros équipé
d'armes blanches était à l'époque aussi surprenant qu'un
Punisher brandissant un fusil. Plusieurs années passèrent avant
qu'on laissât entendre que les griffes de Wolverine lui avaient
parfois servi à tuer. Mais tout de même, il semblait
inconcevable de voir un personnage user d'armes aussi
manifestement mortelles. Sans doute des manieurs de glaives tels
que Conan ou Killraven avaient-ils préparé la voie à Wolverine.
En tout cas, ses griffes lui donnaient le côté implacable qui
manquait aux autres personnages des années 1970. Dans le récit
en deux parties de INCREDIBLE HULK 180-181, écrit par Len Wein,
dessiné par Herb Trimpe et encré par Jack Abel, Wolverine
n'avait en fait qu'un rôle de figurant. Hulk, en virée au
Canada, rencontrait Wendigo, un monstre à la force prodigieuse.
Cette créature était en fait un homme nommé Paul Cartier, qui,
égaré dans le désert de glace, avait été contraint pour
survivre à manger la chair d'un cadavre humain. L'univers Marvel
devenait de plus en plus noir, je n'en reviens pas encore que la
Commission de Censure ait laissé passer ça ! Cette faute lui
valut une punition d'ordre surnaturelle : il fut métamorphosé en
Wendigo, une brute sauvage dépourvue de pensée, inspirée du
Sasquatch de la légende. Marie Cartier, la soeur du héros, et
son ami Georges Baptiste - profondément amoureux de la jeune
femme - traversèrent la banquise pour exécuter un rite magique
capable d'arracher Wendigo à sa triste condition.
Le Gouvernement canadien, de son côté,
envoya Wolverine régler le cas des deux monstres. Le lecteur
apprit alors que ses griffes étaient constituées d'adamantiurn
et capables de transpercer même la carapace de Hulk. On savait
que Wolverine était un mutant, mais on ne parlait pas encore de
son pouvoir auto guérisseur. Et des années allaient s'écouler
avant qu'on annonce que les fameuses griffes faisaient partie intégrante
de son corps et non de son costume.
Le combat qui les opposa n'ayant donné
aucun résultat, Hulk et Wolverine finirent par faire front
ensemble contre Wendigo. Mais le problème ne devait être résolu
que par Baptiste. Dans son désir pathétique de voir Marie
heureuse, il se sacrifia en prononçant lui-même la formule
magique. Paul Cartier recouvra sa forme humaine, mais Baptiste fut
transformé en Wendigo à sa place...
Avec le recul, on se dit que l'arrivée du
Punisher et de Wolverine ont été les deux événements marquants
de l'année pour les séries HULK et SPIDER-MAN. Mais à l'époque,
personne ne s'en aperçut. Les fans furent sans doute bien plus
impressionnés par AMAZING SPIDER-MAN # 136 où Harry Osborn
devenu fou apparut en grande première dans le costume du Bouffon
Vert qu'il tenait de son père. Ou par l'un des épisodes les plus
saugrenus de la vie de Spider-Man dans lequel le Dr Octopus s'apprête
à épouser cette chère tante May pour mettre la main sur une
centrale nucléaire dont elle vient d'hériter ! Les scénaristes
de l'époque, il faut bien le constater, traitaient parfois la
pauvre May comme une demeurée chronique. Elle était en robe de
mariée et sur le point de prononcer le "oui" fatidique
quand survint Spider-Man qui mit fin in extremis à la cérémonie.
La centrale fut détruite peu après par une explosion. Mais une
question demeure : quel parent de Peter Parker a bien pu lui léguer
l'établissement en question ? Inutile d'espérer une réponse,
tout le monde a oublié l'incident.
Cette année-là, parut aussi dans MARVEL
TEAM UP # 28 l'épisode le plus bête de toute l'histoire Marvel.
Spider-Man s'y alliait à Hercule pour lutter contre de mystérieux
Voleurs de Cités qui avaient pris Manhattan en remorque pour la
planquer au large. Le morceau de bravoure d'Hercule consista alors
à s'atteler lui-même à la besogne pour remettre Manhattan où
on l'avait prise. Hercule est costaud, personne n'en doute, mais
trop c'est trop ! Plus tard, les responsables Marvel dirent qu'il
s'agissait seulement d'une vantardise d'Hercule.
TEAM UP # 19, lui, mit en scène un des
fameux ennemis de Spider-Man : un chercheur, le Docteur Vincent
Stegron, avait prélevé de l'ADN de dinosaure en Terre Sauvage et
se l'était injecté pour se muter en Stegron, l'homme-reptile.
Marvel continuait de développer sa production. Un troisième titre fut alloué à Spider-Man, un trimestriel de 48 pages qui était en fait une version améliorée de MARVEL TEAM UP, puisqu'il présentait le Tisseur en tandem avec diverses stars de la maison Marvel. (Le concept de départ voulant que Spider-Man fût un solitaire avait fait long feu, semble-t-il ! Intitulée à l'origine GIANT SIZE SUPER-HEROES, la revue redémarra le mois suivant au n' 1 sous le nom de GIANT SIZE SPIDER-MAN. L'histoire était alléchante, puisque les deux co-stars en étaient Spider-Man et Dracula. Mais finalement, leur rencontre n'eut jamais lieu. La raison: en mêlant trop étroitement le monde de Dracula, classique de l'horreur, à l'environnement habituel des super héros, on craignait de diminuer l'impact de chaque personnage.
S'il arrivait qu'une revue Marvel cessât
brusquement de paraître, les créateurs se débrouillaient pour
caser la fin de l'histoire en cours dans une autre série. Ainsi,
en 1973, suite au naufrage de THE POWER OF WARLOCK, Hulk en son
176ème épisode se retrouva propulsé jusqu'à Counter-Earth - l'Anti-Terre,
double de notre planète situé à son opposé par rapport au
soleil. Deux numéros durant, Hulk nous rapporta les dernières
tribulations d' Adam Warlock, le messie de l'Anti-Terre.
Son adversaire Man-Beast finit par triompher et par le faire
crucifier. Mais on s'en doute, Warlock ne tarda pas à
ressusciter d'entre les morts et à foudroyer ses ennemis,
Ensuite, Warlock quitta l'Anti-Terre - évacuée par la suite
vers un lointain système solaire - pour entreprendre une
nouvelle série d'aventures orchestrées par Jim Starlin. Hulk
rentra sur terre et son ennemi de toujours, le général "Thunderbolt"
Ross, céda le pas au colonel Jack Armbuster, un nouveau
comparse fleurant vaguement le Viêt-Nam, le général William
Westmoreland plus précisément. Trois des X-Men (qui n'avaient
toujours pas de revue attitrée), le Pr Xavier, Cyclope et
Marvel Girl, capturèrent le Fléau à l'issue de son premier
round contre Hulk au n° 172. Et un gag fut introduit au 182ème
épisode dans lequel un encombrant personnage nommé Crackajack
fit goûter au Titan Vert le plat qui deviendra son aliment
favori : les fayots !
Red et Jane Storm, pour
leur part, semblaient au bord du divorce quand leur ancien
ennemi, le Prince des Mers, eut l'idée de feindre une attaque
qui les re-précipita dans les bras l'un de l'autre (# 148).
Jane refusa toutefois une année durant de reprendre sa place
dans l'équipe. Médusa des Inhumains assura l'intérim au sein
des Quatre Fantastiques.
Pour rester dans la note romantique, Crystal,
la soeur de Médusa, épousa le mutant Vif-Argent des
Vengeurs, au cours d'un crossover englobant FANTASTIC FOUR # 130
et AVENGERS # 127. Et l'année des histoires farfelues se
poursuivit... Au numéro 151, Thundra, la "femme
forte" venue d'un futur alternatif crée deux ans
auparavant, affronta son ennemi personnel, un macho brutal
baptisé Mahkizmo. Thundra n'eut jamais droit à son magazine
attitré, mais elle n'en fut pas moins un personnage important.
Elle incarnait un changement de mentalité dans la manière de
considérer les femmes. Jusqu'ici, la plupart des
super-héroïnes se contentaient d'être invisibles ou de lancer
des sortilèges. On ne trouvait chez Marvel aucune rivale de
Wonder Woman, l'amazone de la maison DC. Thundra la "Fémizone"
fut la première super-héroïne de ce type. Non seulement elle
possédait une force surhumaine, mais -contrairement à Wonder
Woman qui avait les mensurations mannequin - elle affichait une
taille et une musculature impressionnantes. Enfin, il existait
une héroïne Marvel capable de rivaliser avec n'importe quel
malabar de la distribution !
Bien plus intéressante que FANTASTIC
FOUR cette année-là, la série TWO IN ONE, le magazine de la Chose
allié chaque fois à un autre héros Marvel. Le scénariste
Steve Gerberfit de la Chose le tuteur malgré lui de
Wundarr, un alien emprunté à la série MAN-THING (un adulte à
la force herculéenne, affligé d'un esprit d'enfant de deux
ans). Peu après, la Chose et Captain America se rendirent dans
le lointain futur pour aider les Gardiens de la Galaxie qui
guerroyaient pour arracher la Terre aux conquérants
extraterrestres badoons.
1974 fut une année très médiocre pour Iron
Man, le Vengeur Doré, dont les aventures, bien que visant
très haut, s'avérèrent toutes décevantes. Le Lama Noir -
mystérieux, sans doute, mais surtout soporifique - déclencha
une guerre des super-vilains en dressant l'un contre l'autre
deux criminels Marvel genre Fu Manchu: Griffe Jaune et le
Mandarin.
En même temps, un nouveau héros
"de fer" vit le jour dans MARVEL PREMIERE 15, Iron
Fist, l'as des arts martiaux, naquit de la collaboration de
Roy Thomas, Gerry Conway, Gil Kane et Bill Everett. Alors
que Shang-Chi, maître du kung-fu, évoluait dans le monde des
romans de Fu Manchu, Iron Fist résultait d'un effort de
synthèse entre les champions d'arts martiaux et les superhéros
en costume. Ce fut la première réussite de Marvel dans le
genre.
Fait étrange : Marvel, qui avait été
le premier à donner des rôles consistants à des personnages
afro-américains, semblait en 1974 mal à l'aise à l'idée de
mettre en scène un héros asiatique. On donna donc à Shang-Shi
des origines semi-caucasiennes. Mais peut être les créateurs
comprirent-ils leur erreur car, après une apparition unique,
ils ne firent plus jamais allusion à la mère occidentale du
héros. De la même façon, Iron Fist fut baptisé Danny Rand et
nanti d'un pedigree américain. Simplement, il avait été
élevé à K'un-L'un, l'un des innombrables états asiatiques
fictifs inspirés du roman Lost Horizon adapté au
cinéma. K'un-L'un était située dans une autre dimension. De
la terre, on ne pouvait y accéder qu'une fois toutes les dix
années Marvel, soit vingt ans et des poussières en temps
réel. Mais Iron Fist et quelques autres réussirent à
contourner cette difficulté un certain nombre de fois. En
pourfendant un dragon et en s'emparant de son cœur, Danny
acquit un jour le pouvoir du "poing de fer" qui
conférait à ses coups une vigueur surnaturelle. Les parents de
Danny étaient morts suite à la trahison d'un nommé Harold
Meachum, associé de son père. Pour venger le trépas des
siens, Danny quitta K'un-L'un dont il resta éloigné une bonne
décennie. Son objectif était de retrouver Meachum et de le
supprimer. Le justicier masqué débarqua ainsi à New York City
et passa plusieurs épisodes à combattre une foule d'adeptes
des arts martiaux qui avaient pour mission de le neutraliser.
Finalement, Iron Fist arriva jusqu'à Meachum et ne trouva qu'un
homme âgé, malade et écrasé par le remords. Cela se passait
en 1974 et le Punisher n'avait pas encore marqué l'univers des
comics. Comprenant que le meurtre de Meachum serait aussi
répréhensible qu'inutile, Iron Fist renonça à se venger.
Mais le sort a ses ironies: Meachum fut assassiné peu après
par un mystérieux ninja et sa fille Joy accusa Iron Fist, ce
qui promettait de l'action pour l'année suivante...
A New York, Iron Fist se lia d'amitié
avec Colleen Wing, elle-même versée dans la pratique des arts
martiaux. Encouragé par la jeune femme, il finit par retirer
son
masque et décida de commencer une vie nouvelle. La vengeance
n'est pas tout dans l'existence et le monde Marvel, malgré sa
noirceur accrue, était toujours éclairé par la lumière de la
rédemption !
Peter Sanderson
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