1974 (2ème PARTIE): LES DEUX STEVE

Les deux meilleurs comics de l'année 1974 ont probablement été écrits par les dernières recrues de Marvel, Steve Englehart et Steve Gerber. Chacun des scénarios qu'ils ont produits à cette époque est un chef-d'œuvre en son genre. Avec eux, la révolution Marvel était loin d'être terminée !

La Guerre Froide entre les USA et l'Union Soviétique ayant fait place à une trêve précaire, les scénaristes de Captain America, Englehart entre autres, durent trouver au héros patriote d'autres dangers à combattre.

Englehart décida de centrer son intrigue sur les atteintes portées aux libertés américaines à l'intérieur même du pays. Son premier grand succès dans ce domaine fut un réquisitoire contre le fanatisme anticommuniste: en 1973, le Cap des origines s'élevait contre son successeur des années 50, obsédé par la chasse aux rouges...

En 1974, Englehart produisit les épisodes les plus mémorables de la série CAPTAIN AMERICA, en y transposant à sa façon le scandale du Watergate, sous la présidence de Nixon. L'événement allait peser lourd sur l'éducation politique des Américains de la génération baby boom. Une conspiration à la Maison-Blanche même éclatait au grand jour, le Président en personne avait couvert certains crimes... La foi implicite du public en l'honnêteté de ses dirigeants en prenait un sacré coup.

Englehart mit sur pied le Comité pour la Redécouverte des Grands Principes Américains. L'agence était une allusion non voilée au scandale du Watergate. C'était aussi une organisation politique fictive recherchant le pouvoir par des moyens illicites et bafouait toutes les libertés sous prétexte de les sauvegarder. Le Comité d'Englehart préfigurait les associations qui fleuriraient après 1990 dans tout l'univers Marvel, Amis de l'Humanité, Opération Tolérance Zéro et tutti quanti.

Le Comité chercha à devenir une force politique en discréditant Captain America, représentant des valeurs américaines traditionnelles, qu'il accusa de meurtre. Il proposa pour le remplacer son propre super-héros, le Moonstone des origines - appelé à devenir Nefaria après que la Moonstone actuelle, alias Météorite des Thunderbolts, eut usurpé son nom et ses pouvoirs.

Cap ainsi mis hors-la-loi dut vivre caché, le temps de prouver son innocence avec l'aide de son allié le Faucon.

Ils finirent par découvrir que le Comité servait de couverture à l'Empire Secret, l'une des nombreuses organisations subversives du monde Marvel. L'Empire en question était allé jusqu'à kidnapper un certain nombre de mutants - dont quelques X-Men - pour drainer leurs super-énergies. Voilà donc où étaient passés les X-Men entre la disparition de la première équipe et la formation de la suivante! L'intrigue atteignait son apogée sur la pelouse de la Maison-Blanche où Cap et le Faucon, aidés par Cyclope et Strange Girl, affrontaient l'Empire qui venait commettre un coup d'état. Lancé aux trousses de Number One, leader de l'Empire, Cap se retrouva à l'intérieur de la demeure présidentielle... et Number One fut démasqué dans le célèbre bureau ovale. Acculé, il se suicida sous les yeux horrifiés de Cap.

Qui était-il ? Un haut fonctionnaire de I'US Government, semble-t-il... Une personnalité si universellement estimée que la découverte frappa Captain America comme la foudre. Sa désillusion fut telle qu'il renonça à son identité costumée et rompit tout contact avec la classe dirigeante.

Dans l'histoire Marvel, Steve Rogers a abandonné à quatre reprises le costume de Captain America. La première fois, c'était en 1967, sous les auspices de Stan Lee et Jack Kirby. Steve envisageait alors de prendre sa retraite pour vivre paisiblement avec sa bien-aimée Sharon Carter. Il comprit vite que certaines responsabilités vous collent à la peau. Englehart, pourtant, et après lui Mark Gruenwald et Mark Waid, n'ont dépouillé Cap de son uniforme que pour des raisons politiques. La profonde déception de Steve Rogers reflétait le sentiment de tous les lecteurs de l'époque à l'égard des gouvernants.

Rendu à la vie civile, Steve mit exactement trois épisodes à réaliser qu'il ne pouvait se soustraire ainsi à son devoir de soldat. Il cessa de combattre sous le nom de Captain America, mais se rebaptisa Nomad dans le 180ème épisode, un nom évoquant un justicier errant et apatride. Deux personnages reprendraient plus tard ce nom-code après que Steve y eut renoncé.

Sous l'égide d'Englehart, Nomad, puisque Nomad il y avait, dut faire face à un style de criminels résolument nouveau à la fois dans les comics et en Amérique: les terroristes. Ainsi, Madame Hydra, l'adversaire de Cap, tua le premier criminel costumé affublé du nom de Vipère et prit son pseudonyme. Ensuite, elle reconstitua son ancienne équipe, l'Escouade du Serpent, et tout ce beau monde s'élança à la conquête de la Couronne du Serpent, objet magique emprunté à la revue SUB-MARINER.

En collaboration avec le dessinateur Frank Brunner, Englehart réalisa en 1974 sa plus belle saga Marvel dans DOCTOR STRANGE, les meilleurs épisodes depuis la prestation de Lee et Ditko. Au début de l'année, STRANGE était publié dans MARVEL PREMIERE, le périodique où les séries se faisaient la main. Ce fut donc là que les lecteurs découvrirent LE chef-d'œuvre d'Englehart. Sise-Neg, sorcier originaire d'un lointain futur, accumulait toute la puissance magique du cosmos en remontant dans le temps. Son but était de maîtriser toutes les forces surnaturelles de l'univers. De cette façon, une fois arrivé aux origines du temps, il deviendrait Dieu lui-même. Doc Strange et son ennemi de toujours, le Baron Mordo, accompagnèrent l'aspirant à la divinité dans sa quête, jouant respectivement les rôles de bon et de mauvais génie. Strange tentait de dissuader le sorcier de sa funeste entreprise, Mordo cherchait à le manipuler pour assouvir ses propres ambitions. Chemin faisant, Sise-Neg intervint à plusieurs reprises dans l'histoire de l'humanité, rasant Sodome et Gomorrhe et créant le Jardin d'Eden pour les deux premiers ancêtres de la race humaine.

Finalement, Sise-Neg arriva à l'origine des temps. Strange et Mordo virent l'univers crouler dans le néant. Et Sise-Neg, qui ne faisait plus qu'un avec toute chose, réussit à dépasser ses misérables aspirations humaines : étant en quelque sorte devenu Dieu, il comprit que l'univers était tel qu'il devait être. Il brouilla les lettres de son nom pour prendre celui de Genesis et recréa le monde tel qu'il était auparavant.

En 1974, Englehart se fit aussi remarquer sur AVENGERS. Il y retraça une bataille à grand spectacle contre Zodiac, entreprit d'explorer les origines vietnamiennes de Mantis et envoya les Vengeurs arrêter la flotte spatiale de Thanos dans un crossover grandiose avec le CAPTAIN MARVEL de Jim Starlin. Englehart expliqua également que la Sorcière Rouge possédait des facultés magiques en plus de ses pouvoirs mutants. Il lui donna Agatha Harkness pour instructrice.

Ce ne fut pourtant pas Englehart qui écrivit le premier épisode de GIANT-SIZE AVENGERS, le tout nouveau trimestriel alloué aux Vengeurs. Cet honneur revint bien sûr à Roy Thomas, le titan de l'Age d'Or. Il réintroduisit dans l'épisode d'ouverture deux héros Marvel des années 40, Whizzer et Miss America. Nos deux revenants s'étaient mariés et avaient eu un fils mutant nommé Nuklo. L'histoire racontait aussi sous forme de flash-back la première apparition de la super-équipe Winner Squad et de Bova, la vache à qui le Maître de l'Evolution avait donné une intelligence et une apparence physique humaines. Dans cet épisode, il semblait que Vif-Argent des Vengeurs et la Sorcière Rouge étaient les enfants de Whizzer et de Miss America... Mais cette rumeur fut démentie plus tard. Leurs vrais géniteurs étaient, nul ne l'ignore, Magnéto et son épouse Magda.

Les Vengeurs ne connurent cependant le triomphe qu'à la fin de l'année, lorsque Englehart mit en route la saga de la Madone Céleste. Kang le Conquérant, ennemi juré de l'équipe, débarqua du futur à la recherche de la femme qui, selon une prophétie, devait donner naissance à l'être le plus puissant du cosmos. Kang apprit que deux femmes avaient été préparées à ce rôle par les prêtres aliens de Pama : Mantis et Dragon-Lune. Il les captura toutes deux.

Mais un facteur inattendu entra en jeu. Avant de devenir Kang, le Seigneur du Temps était remonté jusqu'en Egypte ancienne où il avait régné d'une poigne de fer sous le nom de Rama-Tut - le Pharaon que vous avez récemment revu dans Marvel Top 4. Coup de théâtre: Englehart révéla que dans les années 60, Kang, las de sa vie de conquêtes, était retourné en ancienne Egypte où il comptait régner cette fois en monarque bienfaisant. Ce Rama-Tut nouvelle version, donc, reparaissait dans l'épisode avec pour objectif d'empêcher son premier avatar, le Kang qu'il avait été en sa jeunesse, de retenir prisonnière la Madone Céleste! A l'issue de GIANT-SIZE AVENGERS #2, Kang et Rama-Tut ivres de fureur disparaissaient, happés par le courant temporel. Et l'odyssée de la Madone Céleste ne faisait que commencer ! Elle n'atteindrait son apogée que l'année suivante.

En 1974, Steve Gerber donna un nouveau ton aux aventures de Daredevil. Il mit la pédale douce sur le côté science-fiction et transporta l'Homme sans Peur de San Francisco à New York. DD semblait bien mieux à sa place lorsqu'il combattait le crime à Manhattan ! Dans l'épisode 308, Gerber fit entrer en scène la famille de Foggy Nelson: sa sœur Candace, son père et sa mère, qui devaient jouer par la suite un rôle important dans la série.

L'oeuvre la plus personnelle de Gerber fut sans doute MAN-THING qui étrenna son propre magazine en janvier 1974. C'est là que parut l'épilogue d'une aventure opposant une équipe disparate - Man-Thing, la jeune sorcière Jennifer Kale, Dakimh, le sorcier excentrique, et le guerrier barbare alien Korrek - à Thog, le démon incréé, et à son Congrès des Réalités. Thog s'était mis en tête d'envahir Therea, la dimension des Dieux. Man-Thing et ses compagnons lui en passèrent l'envie. Séquence mémorable : Dakimh présenta ses compagnons aux dieux de Therea qui avaient pris pour la circonstance l'apparence du meilleur ami de l'homme: le chien !

Cette victoire coûta cher à l'un des héros: Howard le Canard fut précipité dans des limbes sans fond. Mais les fans de Marvel n'allaient pas l'y laisser moisir pour l'éternité.

Le MAN-THING de Gerber étaient centré sur l'épouvante, le pathétique et l'introspection à implications moralisantes. Mais son côté surnaturel et émotionnel sonnait juste. On y vit apparaître le Foolkiller des origines, un vigile fou qui avait entrepris de descendre tous les "pécheurs" qu'il rencontrait... Autre cinglé dans cette histoire: le clown Darrel, récemment décédé et jugé dans le marais de Man-Thing par les puissances de l'Après-vie chargées d'examiner ses actes. Il y avait aussi Maybelle Tork dont la haine refoulée contaminait les créatures du marais et menaçait son rustre de mari. Enfin, il y eut "Le Cri du Mort Vivant", la saga d'un publicitaire rendu fou par la médiocrité de son existence. C'était là une étude de caractères plutôt qu'un roman d'aventure ou d'épouvante. Une oeuvre très différente des comics habituels. Le MAN-THING de Gerber ouvrait la voie aux BD fantasy surnaturelles en vogue quelques décennies plus tard.

Par ailleurs, Roy Thomas donnait la mesure de ses talents barbares et sorciers dans trois revues à la fois : le mensuel CONAN THE BARBARIAN, le magazine en noir et blanc THE SAVAGE SWORD OF CONAN et le nouveau trimestriel GIANT-SIZE CONAN. Dans le premier de ces magazine, Thomas exposait chronologiquement les pérégrinations de Conan depuis son incursion dans le "monde civilisé", le faisant vieillir en temps réel et non plus en temps Marvel. Début 1974, on voyait donc un Conan adolescent servir en tant que soldat dans la cavalerie turanienne, nation contre laquelle il avait combattu l'année précédente. Les autres revues Conan, au contraire, consistaient en une suite de gros plans sur diverses périodes de la vie du héros.

Après le départ de Barry Windsor-Smith, John Buscema prit la relève dans le mensuel CONAN et dans SAVAGE SWORD. Le travail de Buscema est à mi-chemin entre le style habituel des comics Marvel et le réalisme de la fresque d'époque inspirée de Hal Roster dans son classique Prince Vaillant. Buscema est aussi le modéliste du fameux bikini de fer arboré par Red Sonia, pendant féminin de Conan. Vêtement qui fut repris par tant d'héroïne de comics à la fin des années 80...

D'autres artistes prestigieux participèrent à la grandeur de Conan pendant ses années de gloire. Neil Golden dessina "La Malédiction du Crâne d'Or" (épisode 37). Ce récit fit entrer en scène Juma, le guerrier africain, créé par L. Sprague de Camp et Lin Carter, les premiers auteurs à broder sur les aventures de Conan. Dans GIANT-SIZE CONAN, Roy Thomas et Gil Kane s'embarquèrent dans une adaptation foisonnante de l'unique CONAN de Howard, "L'Heure du Dragon". Conan, alors âgé d'une quarantaine d'années et récemment couronné roi d'Aquilonie, luttait contre divers ennemis du trône et faisait la connaissance de Zénobie, sa future reine.

Steve Englehart, pour en revenir à lui, avait quitté THE DEFENDERS fin 73. Le très prolifique Len Wein lui succéda et eut pour premier soin de remettre dans le droit chemin le Faucon de Nuit, membre de l'Escadron Sinistre, pour lui donner une place aux côtés des Défenseurs. Le Faucon remplaçait le Prince des Mers, membre fondateur de l'équipe. Les numéros suivants de DEFENDERS inaugurèrent la même année le gang des "Wrecking Crew" (les Démolisseurs), réunissant les super-vilains Bulldozer, Piledriver et Hammerhead sous les ordres de Wrecker, un criminel emprunté au THOR de Lee et Kirby. Hulk quitta les Défenseurs pour officier dans sa propre série. Ce qui ne laissait plus en piste qu'un seul membre fondateur, Doc Strange. Avec le recul, on s'aperçoit que la seule aventure significative écrite cette année-là par Wein pour THE DEFENDERS aura été celle publiée dans les épisodes 15 et 16. L'Empire Secret occupant les X-Men à plein temps dans le titre CAPTAIN AMERICA, le Pr Xavier affronta lui-même, avec les Défenseurs, Magnéto et la Confrérie des Mauvais Mutants. Cette fois, Magnéto avait créé un être artificiel doté d'immenses pouvoirs psioniques: Alpha, le Mutant Ultime... Mais Alpha se révolta contre son créateur et le métamorphosa, ainsi que ses alliés, en enfants en bas âge...

Magnéto devait s'en remettre, chacun l'a constaté. Mais les conséquences de cet événement pesèrent lourdement sur la destinée des X-Men. Ils en subissaient encore le contrecoup au début des années 90.

Et les relations entre Len Wein et le Professeur X ne faisaient ue commencer ! En 1975, le tandem Wein / Dave Cockrum allait ressusciter les X-Men avec le brio que l'on sait... de quoi faire des créateurs les super-vedettes de la maison Marvel pour les années à venir ! 

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